Côte d’Ivoire

L’État français doit rendre des compte

Les éléments mettant en cause le plus haut niveau de l’État français dans l’opération qui provoqua la mort de neuf soldats français en 2004 s’accumulent. Les notes des conseillers de Jacques Chirac publiées ce mardi 24 février par le journal L’Humanité montrent aussi que pour l’Élysée, dès 2004, « la seule possibilité de renverser le président Gbagbo passe par les élections » . Ce n’est finalement qu’en avril 2011 que Laurent Gbagbo sera renversé et arrêté, justement à l’issue d’une parodie de processus électoral.

Depuis 2004, l’association Survie suit de près toute cette affaire. Notre dossier de synthèse :

Du bombardement de Bouaké au massacre de l’hôtel Ivoire : 10 ans de mensonges et d’impunité (novembre 2014

Les éléments qui tendent à démontrer qu’en novembre 2004, les ministres de l’Intérieur (Dominique de Villepin) et de la Défense (Michèle Alliot-Marie) avaient sciemment laissé s’échapper les pilotes biélorusses directement impliqués dans le bombardement du 6 novembre 2004 sur le camp militaire français de Bouaké sont bien connus. 

Avec l’enquête publiée dans L’Humanité de ce mardi 24 février, on découvre les premières intentions de l’Élysée dans les jours qui précèdent la crise franco-ivoirienne de 2004, à travers deux personnes : Michel de Bonnecorse, conseiller Afrique de Jacques Chirac, et le général Jean-Louis Georgelin, son chef d’état-major particulier. Les notes divulguées montrent que quatre jours avant le bombardement du camp militaire français, tous deux sont bien avertis de l’offensive imminente de l’armée ivoirienne sur Bouaké, fief de la rébellion de Guillaume Soro. Pour le général Georgelin, il est alors « impératif de tenter de dissuader le président Gbagbo », y compris en le menaçant d’une « riposte des forces impartiales » et d’une « intervention possible du Liberia et du Burkina Faso au plan militaire ». Malgré ses dénégations, l’Élysée était donc décidé à protéger la rébellion ivoirienne et parfaitement informé du soutien militaire que les présidents Blaise Compaoré – aujourd’hui réfugié en Côte d’Ivoire – et Charles Taylor – condamné à 50 de prison pour une autre guerre, menée en Sierra Leone – avaient apporté dès son début à cette rébellion.

Ces nouveaux éléments sont à rapprocher du témoignage clé de Jean-Jacques Fuentès, mercenaire instructeur au sein de l’armée ivoirienne : « Le 5 novembre au soir, un officier ivoirien a reçu un coup de fil de la cellule Afrique. A priori, c’était une désignation de cible, qu’il aurait fallu bombarder pour finir la guerre [...] à quelques centaines de mètres du lycée Descartes [devenu camp militaire français], où se tenait prétendument une réunion des chefs rebelles ». Bien qu’incroyable a priori, cette intoxication par la cellule africaine de l’Élysée que dirigeait Michel de Bonnecorse est jusqu’ici la seule explication rationnelle du bombardement du camp militaire français par l’armée ivoirienne. Me Jean Balan, l’avocat des victimes françaises avait déjà précisé que de nombreux témoignages de militaires français montrent que le lieu ciblé servait de foyer aux militaires français, exceptionnellement fermé au moment de l’attaque. En janvier 2007, le journaliste indépendant Alain Chabod avait recueilli une longue confession filmée de Jean-Jacques Fuentès qui, bien qu’évoquée dans plusieurs articles de presse , n’a jamais été diffusée.0

En mai 2007, Fuentès était opportunément arrêté à Bordeaux, puis extradé vers Malte pour l’exportation illégale, en 2003, de deux avions militaires vers la Côte d’Ivoire. Une affaire d’où il sortit blanchi par la justice maltaise. C’est finalement en mars 2010 que la juge Florence Michon recueillit son témoignage, qui accrédite le rôle central de l’Élysée dans l’affaire du bombardement de Bouaké.

L’autre aspect des notes de l’Élysée concerne le positionnement politique de Paris sur la crise ivoirienne, qui oppose le président Gbagbo à la rébellion armée menée par Guillaume Soro, favorable à l’opposant Alassane Ouattara. Pour le général Georgelin, «  la seule possibilité de renverser le président Gbagbo passe par les élections  ». Michel de Bonnecorse précise qu’Alassane Ouattara « sait n’avoir aucune chance » et « souhaite un effondrement général qui pourrait lui être profitable ». La cohérence avec ce qu’il s’est finalement passé lors de la crise électorale de 2010/2011 est pour le moins troublante : des élections dans une Côte d’Ivoire toujours coupée en deux, en présence d’une rébellion jamais désarmée, de larges fraudes sur lesquelles la « communauté internationale » a fermé les yeux, le passage en force d’Alassane Ouattara soutenu par la France et les Nations Unies et celui de Laurent Gbagbo proclamé vainqueur par le Conseil constitutionnel, puis finalement le renversement de Laurent Gbagbo par l’armée française, alliée aux rebelles de Guillaume Soro.

L’association Survie demande à nouveau :

Au Président et au gouvernement français, la déclassification complète des documents liés aux événements de novembre 2004 en Côte d’Ivoire ;

Au Procureur du pôle crimes contre l’humanité et crimes de guerre du Tribunal de grande instance de Paris, de déclencher d’une enquête sur les crimes imputés à l’armée française sur des civils en Côte d’Ivoire durant le mois de novembre 2004.

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